12/12/2020

Obligation de reclasser le salarié inapte et licenciement abusif

Cour d'appel de Bordeaux, 24 février 2016, n° 14/07476


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 novembre 2014 (RG n° F 13/02822) par le Conseil de Prud’hommes – formation paritaire – de Bordeaux, section Activités Diverses, suivant déclaration d’appel

du 19 décembre 2014,

APPELANTE :

Madame A B épouse X, née le XXX à

XXX, de nationalité française, profession aidesoignante,

demeurant XXX

Représentée par Maître Florian Bécam de la SCP Bécam, avocat au barreau de Bordeaux,

INTIMÉE :

Association Maison de Retraite Terre Nègre, siret XXX,

prise en la personne de sa représentante légale domiciliée en cette qualité au siège social, XXX – XXX,

Représentée par Maître Marie Girinon substituant

Maître Brigitte Looten de la SELAS Fidal, avocates au barreau de Bordeaux,


RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Madame A X, née B, a travaillé au sein de la Maison de Retraite Terre Nègre en qualité d’agent de service temporaire à compter du 15 janvier 1999 et jusqu’au 28 février 2001 dans le cadre d’une série de contrats de travail à durée déterminée. Ces contrats se sont poursuivis dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2001. Par avenant en date du 1er février 2006 Mme X était promue aide-soignante. À compter du 16 janvier 2012 Madame X était placée en arrêt maladie suite à un accident du travail, arrêt régulièrement prolongé jusqu’au 31 décembre 2012.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 28 novembre 2012 le médecin conseil de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde informait Madame X qu’il considérait son état consolidé à la date du 31 décembre 2012 et qu’il serait alors mis un terme à son indemnisation dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.

Après deux visites de reprise les 10 et 24 janvier 2013 le médecin du travail déclarait Madame X définitivement inapte à son poste d’aide soignante.

Par lettre du 25 mars 2013 l’EHPAD Maison de Retraite Terre Nègre sollicitait l’avis des délégués du personnel sur le reclassement de Madame X. Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 mars 2013 l’Association Maison de Retraite Terre Nègre proposait à Madame X son reclassement sur un poste de responsable suivi clientèle au sein de la société Bulle de Linge. Par lettre en date du 2 avril 2013 Madame X refusait cette proposition.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 24 mai 2013 l’Association Maison de Retraite Terre Nègre informait Madame X de l’échec des recherches de reclassement et la convoquait à un entretien préalable à son éventuel licenciement le 5 juin 2013.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 juin 2013 l’Association Maison de Retraite Terre Nègre notifiait à Madame X son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 17 septembre 2013, Madame X a saisi le Conseil de Prud’hommes de Bordeaux en annulation de son licenciement et en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et

sérieuse et pour préjudice moral.

Par décision en date du 25 novembre 2014, le Conseil de Prud’hommes a débouté Madame X de l’ensemble

de ses demandes et l’Association Terre Nègre de sa demande reconventionnelle.

Le 19 décembre 2014, Madame X a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 3 août 2015, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, Madame X conclut à la réformation du jugement entrepris.

Elle demande à la Cour de dire son licenciement nul et forme, dès lors, les demandes en paiement des sommes

suivantes à l’encontre de l’Association Maison de Retraite Terre Nègre :

— 24.000 € à titre de dommages intérêts pour

licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— 6.000 € à titre de dommages-intérêts pour

manquement à l’obligation d’information sur

l’impossibilité de reclassement,

— 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour

manquement à l’obligation de sécurité,

— 2.000 € au titre de l’article 700 du code de

procédure civile.

Par conclusions déposées le 12 octobre 2015 développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, l’Association Maison de Retraite Terre Nègre demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Madame X à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION

* Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité :

Madame X prétend que son inaptitude provient de l’attitude de l’employeur constitutive d’un manquement à son

obligation de sécurité de résultat. Cependant, elle ne précise nullement ce qu’était 'l’attitude de l’employeur', elle ne formule aucun reproche précis et ne fournit aucun élément à cet égard.

Or, il résulte des visites médicales périodiques de la salariée qu’avant son arrêt maladie du 16 janvier 2012, consécutif à une lombalgie, elle a toujours été déclarée apte par le médecin du travail sans aucune réserve, sans aucune préconisation particulière. Le dossier médical de la salariée n’apporte aucun élément, il ne fait état d’aucune remarque sur d’éventuelles mesures à prendre relatives au poste de travail de la salariée, ou de

doléances de celle-ci à cet égard.

En conséquence, la preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude de la salariée n’est pas rapportée et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il l’a

déboutée de sa demande à ce titre.

* Sur la rupture du contrat de travail :

En application des dispositions combinées des articles L 1226-10 et L 1226-12 du code du travail lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment l’employeur lui propose au sein de l’entreprise, ou à défaut à l’intérieur du groupe auquel il appartient, un autre emploi approprié à ses capacités. L’employeur ne peut prononcer le licenciement pour inaptitude que s’il justifie de son impossibilité de proposer au salarié, un emploi approprié à ses capacités physiques et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste ou aménagement du temps de travail.

L’Association Maison de Retraite Terre Nègre est un établissement unique, il n’appartient à aucun groupe et le périmètre de reclassement est limité à l’entreprise elle-même.

L’employeur justifie avoir proposé un poste de reclassement en externe à la salariée le 25 mars 2013, proposition jugée adaptée à l’état de santé de Madame X par le médecin du travail interrogé par l’employeur.

Suite au refus de cette proposition par la salariée le 4 avril 2013, refus dont il n’est pas prétendu qu’il ait eu un caractère abusif, ce d’autant plus qu’il supposait un changement d’employeur, l’EPHAD Maison de Retraite Terre Nègre devait reprendre ses recherches de reclassement.

Ce qu’il a fait en organisant une rencontre avec la salariée le 24 avril 2013, en présence du médecin du travail, de la directrice des ressources humaines et de la déléguée du personnel, pour poursuivre leurs réflexions. Était alors évoquée la possibilité de reclassement sur un poste d’aide soignante dans une nouvelle unité dite PASA. Cependant, le médecin du travail, après entretien avec le médecin responsable de ce nouveau service, dans un avis du 23 mai 2013 considérait que ce poste n’était pas adapté à la pathologie présentée par Madame X.

C’est dans ces conditions que le licenciement de Madame X était prononcé.

L’employeur reconnaît cependant que les préconisations du médecin du travail, formulées lors de la première visite du 10 janvier 2013, permettaient le reclassement de Madame X sur un poste ne sollicitant pas son rachis lombaire tel un emploi de bureau.

Or, il appartient à l’employeur de démontrer l’impossibilité de reclasser la salariée sur un tel poste. La Maison de Retraite Terre Nègre se contente d’affirmer que tous les postes de type administratif étaient pourvus lors de la recherche de reclassement. Mais, en s’abstenant notamment de produire le registre unique du personnel, comme elle y était invitée par Madame X, elle ne permet pas à la Cour de contrôler ses affirmations.

Ainsi, l’Association Maison de Retraite Terre Nègre ne justifie pas de l’impossibilité de reclasser Madame X sur un poste adapté conformément aux préconisations du médecin du travail.

Dès lors, réformant le jugement entrepris il y a lieu de dire le licenciement de Madame X dépourvu de cause

réelle et sérieuse.

* Sur l’indemnisation du préjudice né du licenciement abusif :

En application des dispositions de l’article L 1126- 15 du code du travail, en cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties, le salarié est en droit de prétendre en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, à une indemnité dont le montant ne peut-être inférieur à 12 mois de salaire.

En l’espèce, Madame X percevait un salaire mensuel brut d’un montant de 1.914,96 € bruts toutes primes confondues, elle avait 13 ans d’ancienneté environ, était âgée de 34 ans. Au regard de ces éléments l’employeur sera condamné à lui payer la somme de 23.000 € à titre de dommages intérêts avec intérêts courant au taux légal à compter de ce jour en application des dispositions de l’article 1153-1 du code civil.

* Sur la demande en paiement de dommages intérêts pour violation des dispositions de l’article L 1126-

12 du code du travail :

En application de l’alinéa premier de cet article l’employeur dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié déclaré inapte à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle doit lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement.

Madame X fait valoir que cette information, qui lui a été notifiée le 24 mai 2013 dans sa lettre de convocation à l’entretien préalable à son licenciement, aurait dû lui être notifiée avant que ne soit engagée la procédure de licenciement.

Le non-respect des dispositions susvisées est sanctionné par l’octroi de dommages-intérêts.

Cependant, ces dommages intérêts ne se cumulent pas avec l’indemnité de 12 mois de salaire prévue à l’article L 1126-15 du code du travail lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse comme en l’espèce.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Madame X de ce chef de demande.

* Sur les autres demandes :

L’Association Maison de Retraite Terre Nègre qui succombe conservera la charge de ses frais irrépétibles et sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.

L’équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Madame X qui se verra allouer la somme de 1.000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

' Réforme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Madame X de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Et, statuant de nouveau :

' Dit le licenciement de Madame X dépourvu de cause réelle et sérieuse.

' Condamne l’Association Maison de Retraite Terre Nègre à verser à Madame X la somme de 23.000 €

(vingt trois mille euros) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse avec intérêts courant au taux légal à compter de ce jour.

' Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Y ajoutant :

' Condamne l’Association Maison de Retraite Terre Nègre à verser à Madame X la somme de 1.000 € (mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


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